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    “You never know what worse luck your bad luck has saved you from.”

    — Cormac McCarthy

La mort probable du commerçant : La distribution de demain.

(Temps de lecture : environ 9 min)

Ce matin, j’ai pris ma voiture pour acheter quelques baguettes pour le petit déjeuner. Le voyage + achat m’a pris environ 20 minutes.

Souvent, je m’amuse à observer le marketing mix (les fameux 4 P) des commerçants comme la boulangerie de ce matin.

c’est celle-ci, qui est d’ailleurs en plein expansion…

Voici une petite analyse succincte des 4 P de cette boulangerie en question (les 3 premiers P sont tout ce qu’il y a de plus classique d’une boulangerie lambda) :

Le produit :

La baguette de base est de bonne qualité. En plus des produits classiques (pains au chocolat, croissants…etc), la boulangerie propose d’autres produits plus chers (pains spéciaux…Etc) à valeur ajoutée.

Le prix :

La boulangerie maintient sagement la baguette juste en dessous d’un euro. C’est le produit d’appel de base donc psychologiquement acceptable pour un client lambda et parfaitement en phase avec la concurrence.

La promotion :

La promotion externe est inexistante (ils profitent d’être les quasi-seules dans leur zone de chalandise à proximité d’un artère très passant). La promo interne consiste principalement aux 3 achetées = 4ième offerte.

La distribution :

La distribution pour moi est là où tout se joue et où tout se jouera dans l’avenir.

La distribution, c’est le lieu, l’emplacement, le décor du magasin, la manière de se procurer d’une baguette et le service.

Note finale :

Et si je devais donner une note à cette dernière, elle n’aura pas la moyenne : 3,5/10.


Pourquoi une si mauvaise note pour la distribution ?

Permettez-moi de la décortiquer :

  1. Le lieu/ l’emplacement : La boulangerie se situe relativement loin de chez moi (20 mins aller/retour). Ce n’est pas leur faute, mais si je devais être sévère, ce n’est pas mon problème.
  2. Le décor/ l’atmosphère : une tentative “artisanale” et maladroite de branding. Les odeurs de pain frais sont sympas (comme la plupart de boulangeries).
  3. L’expérience d’achat : une machine à monnaie empêchant la manipulation de l’argent et du produit est le seul élément qui rattrape l’expérience globale d’achat.
  4. Le service : Déplorable. Des jeunes femmes “du coin”, peu/ pas attractives physiquement (selon mes goûts… oui, ça joue), peu ou pas/ mal formées, expéditives, certaines sont tout bonnement désagréables. Leur valeur ajoutée pour le client final est moindre voire inexistante.

La mort de ce commerce se jouera sur ses lacunes en distribution.

Clairement, cette boulangerie marche fort et brasse beaucoup d’argent.

La clientèle est constante grâce à son très bon emplacement (zone commerciale, route passante, aucune concurrence). Le produit phare est bon, et le prix reste compétitif et psychologiquement acceptable.

Et objectivement, l’upselling (proposer d’autres produits plus chers en complément de la baguette traditionnelle) est bien établi (même si ces derniers restent basiques et chers, mais c’est le jeu).

J’imagine bien les discussions entre les propriétaires de cette boulangerie :

Pourquoi se remettre en cause quand ça marche ?

A quoi bon changer notre offre ? A quoi bon former notre personnel correctement ? A quoi bon réinvestir alors que les profits n’ont pas l’air de baisser ?

Se reposer sur leurs lauriers.

À mon avis, les propriétaires de ce commerce se reposent sur leurs lauriers, car à l’heure même où j’écris ce billet, les titans de l’e-commerce sont en train de révolutionner la distribution.

Autrement dit, des acteurs numériques qui non seulement maîtrisent la logistique et en plus la réinventent, sont en train de couper l’herbe sous les pieds de ce type de commerçant.


La notion de la zone de chalandise va disparaître.

Prenons le titan Amazon comme exemple. Amazon est très sérieusement en train de développer la livraison par drône (ce qui doit paraître très certainement comme de la science fiction risible pour les propriétaires de cette boulangerie).

La livraison par drone, c’est pour TRES bientôt #GameChanger

Les 4 P selon Amazon.

Imaginons la même analyse des 4P pour la vente de baguette et comment Amazon les mettra très probablement en oeuvre :

  • Le produit : Amazon trouve un fabricant de baguettes aussi bonnes sinon meilleures que celles de la boulangerie (+ d’autres produits de boulangerie). Amazon l’appellera très probablement la “baguette Amazon basics” 😉.
  • Le prix : Amazon profite de son économie d’échelle pour baisser le prix actuel de la baguette et s’aligne ou challenge même la grande distribution.
  • La promotion : Mailing, notifications appli, paid-ads/ remarketing, pub interne sur homepage, image/ notoriété de marque, maîtrise des réseaux sociaux…etc.
  • La distribution : Grâce à une souscription à Amazon prime, le client final aura très certainement la livraison par drone offerte sans minimum d’achat. 0 attente. 0 déplacement. Un système d’abonnement (comme le propose Amazon déjà sur beaucoup d’autres produits). Commander sa baguette via smartphone et pourquoi pas via Alexa.

Comment faire face à la menace d’Amazon ?

Amazon a déjà tué et est en train de tuer beaucoup de petits sites d’e-commerce (et même certains gros) principalement à cause de la livraison offerte à partir de 20 euros (qui a coûté cher à Amazon, mais la stratégie a payé aujourd’hui) et a verrouillé la fidélité de ses clients grâce à Prime. Il a retiré les frictions liés à l’achat avec le bouton “one-click” et maintenant grâce à Alexa, il veut retirer la friction de devoir aller sur leur site pour commander : rien ne vaut une commande vocale.

Et bien entendu, Amazon a fait et fait des ravages auprès des magasins “brick and mortar” (des magasins physiques, non numériques).

Les 5 sens humains.

Mais il y a certains points liés à nos 5 sens humains qui échappent à Amazon, et il est primordial à ce que la boulangerie en question (et beaucoup d’autres magasins B2C) saisissent ces points pour se distinguer et créer un véritable avantage compétitif.

  • La vue : Pour Amazon, c’est compliqué de remplacer l’impact visuel de voir un étalage rempli de pains.

Une règle basique pour du bon business : Ce qui se voit se vend.

Avec un choix large et visuellement impactant, on incite le consommateur à augmenter son panier.

Un étalage qui donne envie visuellement

Pour la vue du produit, Amazon est actuellement limité à un écran. Amazon ne vend pas encore de baguette fraîche sur son site français. Sur une page web d’un drive, voici à quoi ressemble les pains :

Un site web aura du mal à remplacer l’impact visuel d’un magasin soigneusement travaillé, même s’il a l’avantage de mettre en avant la transparence des prix.

Peut-être que les hologrammes, le hololens de microsoft ou la VR (réalité virtuelle) pourront être la réponse pour les boutiques digitales ?

L’odorat : Comme la vue, cela reste aujourd’hui quasi-impossible de reproduire les parfums, odeurs, senteurs via le numérique, même s’il y a et il y a eu des initiatives.

Sachant que pour avoir l’appellation “Boulangerie” il faut cuire le pain sur place, il y aura toujours de bonnes odeurs de pain en boulangerie.

Les bonnes odeurs de boulangerie malgré elle.

Le goût : Faire goûter avant d’acheter avec des échantillons. Ca ne coûte presque rien à la boulangerie, pourtant beaucoup ne le font pas.

L’humain : Pour moi, c’est un des facteurs clés qui pourrait faire la différence mais qui est totalement sous-considéré par la plupart des commerçants français. Aujourd’hui, c’est même difficile d’avoir un simple sourire par un commerçant.

L’ambiance : C’est ce que l’on appelle la CX (consumer experience = l’expérience consommateur). C’est comme l’UX (user experience) pour un site ou une appli, mais pour une boutique. Cela englobe tous les points ci-dessus, et représente le “feeling” pré-achat, pendant l’achat et post-achat et surtout avec le moins de frictions (des freins psychologiques) possible.

C’est bien entendu le marketing sensoriel : la décoration du magasin, les lumières, la musique, les odeurs…


Les boutiques haut de gamme ont déjà compris.

Prenons pour exemple le pâtissier haut de gamme Meert.

Une telle expérience de consommateur est irremplaçable par les titans de l’e-commerce

La CX est fabuleuse. Les produits sont de haute qualité. Le service, et l’accueil sont agréables et l’ambiance d’antan, et l’uniforme des vendeuses sont une véritable expérience en soi.

Mais, cela vient avec :

  • Une file d’attente souvent interminable (boutique victime de son succès)
  • Une rupture de produits (produits victimes de leur succès).
  • Un positionnement prix PREMIUM qui allège rapidement le portefeuille du client. 😕

Conclusion :

Si je devais choisir entre une livraison instantanée par drone d’une baguette fraîche et me déplacer à ma boulangerie actuelle, je choisis sans hésiter le drone.

Le ratio “gain de temps + ne pas voir la tronche des vendeuses + ne pas sortir dans le froid + ne pas devoir m’habiller pour sortir + ne pas consommer de l’essence” dépasse largement le peu de valeur ajoutée en expérience consommateur (CX) que cette boulangerie tente de proposer.

Mon critère principal, c’est la perte de temps, mais si je sais que l’expérience du consommateur sera hors-paire, je serais potentiellement prêt à faire le déplacement.

Actuellement, à mon goût, c’est TOUT SAUF LE CAS. Notamment à cause de l’humain qui dessert totalement la CX (de cette boulangerie et chez pleins d’autres commerçants).

Les limites de l’humain dans la CX d’un commerce local…

Tant que la boulangerie près de chez moi, et les autres petits commerces (de produits de grande consommation) ne réagissent pas à soigner la CX (expérience consommateur), le numérique représente une véritable menace pour leur existence.

C’est déjà le cas pour les magasins d’electro-ménager comme Darty ou Boulanger qui tentent désespérément de se réinventer en proposant des magasins d’essayage de produits avant d’acheter. Mais ce n’est pas sans risque que ces boutiques servent d’essayage, puis on achète en ligne chez Amazon juste après.

(Et par ailleurs, j’ose espérer que la politique commerciale des vendeurs incentivés pour pousser à la vente certains produits soit enfin abolie – rien de pire que d’avoir le vendeur lourd qui veut atteindre son objectif en lave linge de la marque de distributeur).

les commerçants ont loupé la coche du numérique

Les autres commerçants ne sont pas à l’abri, même les locaux, et même les produits frais tant qu’ils ne réalisent pas que la zone de chalandise n’aura plus d’importance très prochainement et que leur opportunité de se distinguer réside dans la CX.

Chaque lacune, chaque erreur, chaque friction de la part d’un magasin physique devient une opportunité pour un titan de l’e-commerce tel qu’Amazon…


ET VOUS ? 

Remplaceriez-vous votre commerçant local par un achat en ligne avec livraison par drone ? Que pensez-vous de la CX actuelle de vos commerçants locaux ?

J’aimerais connaître vos avis ! 😉

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  • Damian Hazlewood

    Insatiablement curieux

    Passionné d'UX, de design de produit (notamment numérique mais pas que... glace8.com), de marketing/ comm, de nouvelles technologies, d'innovation, de comportementalisme, de psychologie, de neuroscience, de tout-ce-qui-geek, de concepts fous, de comédies US/UK (movies + standup), de films/ séries (+ scénarios), de musique, de créativité, et de fooding...

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